jeudi 26 août 2010

Pour un revenu maximum admissible européen.

J'ai appris il y a peu de temps l'existence d'un économiste et sociologue américain qui rencontra un certain succès au début du 20e siècle, Torstein Veblen. Son point de vue remarquable, présenté avec brio par Hervé Kempf (journaliste au Monde), me pousse à un exercice d'écriture dans un domaine pour lequel mon expertise est faible. Fils d'immigrés norvégiens, celui-ci a approfondi certains concepts de l'économie classique en s'intéressant notamment aux motivations des acheteurs.

Celle-ci suppose que l'être humain a des besoins illimités. Dès qu'un besoin est satisfait, chacun d'entre nous chercherait un autre besoin à assouvir. Les progrès techniques permettent de les stimuler, en diversifiant les produits disponibles bien plus qu'auparavant. De même, la prospérité des sociétés occidentales entraine chaque génération à vouloir toujours plus que la précédente, car la richesse d'une nation s'exprime en particulier par son niveau de consommation.

N'y aurait-il donc pas d'issue à ce cercle vertueux ? Ou vicieux, selon l'approche que je vais décrire ensuite...

Tous reconnaissent que les ressources de notre planète sont limitées et il existe donc un moment inévitable dans l'histoire où l'augmentation de la production pour satisfaire ces besoins va se confronter à la disparition de tout ou partie des ressources. Par exemple, les scientifiques sont tous d'accord aujourd'hui (même si certains d'entre eux ont attendu jusque 2008) sur l'existence d'un "pic pétrolier" à venir. Il s'agit du moment où la production annuelle de pétrole sera la plus forte enregistrée, puis s'ensuivra une déclivité de l'exploitation du pétrole dans le monde, jusqu'à l'abandon complet de cette ressource, car les quantités disponibles sur notre planète seront de plus en plus faibles.

Ces pics seront atteints plus ou moins rapidement pour l'ensemble des ressources fossiles que nous utilisons aujourd'hui dans la vie quotidienne: pétrole, gaz, charbon... Des débats (ou spéculations) existent aujourd'hui entre scientifiques, politiques et économistes pour déterminer les délais avant ces pics, car tous sont conscients de l'importance de ces informations...
Chaque survenue d'un de ces "pics" engendrera une crise de l'offre plus ou moins profonde, qui se répercutera sur l'ensemble de l'économie et de la société. Toute personne peu sensible à l'argumentation sur le lien entre l'activité humaine et le changement climatique devrait l'être un peu plus par cette surutilisation des ressources, qui déclenchera également plusieurs crises économiques et sociales, à chaque fois que l'on dépassera l'un de ces pics.
Et comme toujours, ce seront les classes les plus défavorisées qui subiront le plus durement ces périodes : la stabilité des ménages les plus précaires (dépendant exclusivement des revenus acquis au temps présent) sera en effet toujours plus affectée que celle des classes supérieures, dont la richesse ne dépend pas que du seul revenu salarié (patrimoines plus ou moins importants, autres sources de revenus que l'activité salariée).

Torstein Veblen a démontré que les besoins de l'homme n'étaient pas illimités ; ceux-ci sont en effet "limités à un certain niveau", mais c'est "le jeu social qui stimule" ces besoins, pour créer un excédent de besoins, et donc une surconsommation. Si ces besoins ne sont pas illimités, il existerait donc une marge de manœuvre au pouvoir politique pour pondérer l'excédent de besoin et donc diminuer peu à peu la surconsommation, et ainsi éviter les crises décrites ci dessus, y compris dans les pays occidentaux, ayant adopté l'économie de marché.

Avant d'imaginer comment rendre notre consommation plus sobre, il s'agit d'abord de comprendre cette idée du "jeu social" qui "stimule" les besoins des individus.
"Toute classe est mue par l'envie et rivalise avec la classe qui lui est immédiatement supérieure dans l'échelle sociale, alors qu'elle ne cherche guère à se comparer à ses inférieures, ni à celles qui la surpassent de très loin", explique Veblen. Traduction : moi qui appartiens à une certaine strate de la classe moyenne française et européenne, je suis ému par la pauvreté extrême quand je la rencontre, de même je suis dégouté par le gaspillage de la richesse extrême quand je l'aperçois également. Malgré ces émotions, il faut bien avouer que ces expériences ne modifient pas véritablement la structure de mes besoins, dans un sens comme dans l'autre. Ainsi, la classe qui stimule le plus ma consommation serait celle qui a des revenus juste au-dessus des miens, puisqu'elle constitue l'idéal le plus proche pour moi à atteindre, et le processus s'opère de la même manière pour celle-ci avec la classe immédiatement supérieure, en chaînons ascendants jusqu'à atteindre la consommation de la classe la plus riche, celle qui est constituée de nos jours des hommes et femmes d'affaires internationaux, et de certains politiques. En d'autres termes, c'est donc la consommation des plus riches qui "tire" vers le haut la consommation de toutes les classes de notre société.

Suivant le phénomène d'imitation de consommation, on peut également comprendre que plus l'écart de revenus entre une classe et la suivante est important, plus la consommation (ou surconsommation suivant le premier paragraphe) sera stimulée. Autrement dit, plus l'amplitude de revenus entre les deux classes aux extrémités de la société sera élevée (on peut aussi appeler cela les inégalités sociales), plus la surcommation, globalement, s'élèvera. Inversement, plus l'écart entre classes supérieures et classes inférieures sera restreint, moins ce stimulus jouera et donc plus nous nous rapprocherons d'une expression des besoins limités à un certain niveau, que décrivait Veblen.


En France en 2007, les 5800 individus les plus riches selon l’INSEE (0,01% des français) ont déclaré un revenu moyen de 690 000€ annuels, soit 57 500€ mensuels. A l’opposé, la même année, 3,1% des français vivaient avec 602€ mensuels, presque 100 fois moins que les 0,01% les plus riches.

C’est cette amplitude (« 100 fois » entre revenus d’une frange des plus riches et ceux des plus pauvres) qu’il convient donc de diminuer raisonnablement pour réduire la surconsommation et ses effets dévastateurs que j’ai tenté de présenter plus haut.

A cet égard, j’ai rencontré à plusieurs reprises une proposition qui consiste à mettre en œuvre un RMA, revenu maximum admissible à l'échelle de l'Europe. Tout comme il existe un salaire minimum en France (SMIC) et dans la plupart des pays européens, la création d'un RMA permettra d'encadrer l'écart de revenus entre les plus pauvres et les plus riches. Concrètement, cela se traduirait par une taxation maximum (impôt sur le revenu) à partir d’un certain niveau, afin que personne ne perçoive plus de X fois le salaire minimum.

Certains proposent la fixation de ce RMA à 30 fois le salaire médian européen; je n'ai pas d'avis précis sur ce niveau, cette question doit être débattue entre spécialistes. Il apparaît donc que cet outil aura un impact écologique, en plus naturellement d’apporter plus de justice sociale : il est objectivement peu justifiable que certains individus accumulent des centaines de fois plus de richesses que d’autres, quelles que soient leurs compétences. C’est donc aussi une question de morale. En cette période où le pessimisme global augmente (en écho aux différentes « affaires » politiques du moment), recentrer une politique sur la justice économique et sociale ne pourra qu’améliorer la confiance collective dans le pouvoir.

Ce choix sera difficile et courageux à la fois. Il est par ailleurs tout à fait compatible avec l’économie de marché (non, ce n’est pas un retour à une économie communiste, comme certains aimeraient le caricaturer).

Enfin, je crois que cette mesure, utilisée de manière isolée, resterait modeste dans la politique à mener contre le changement climatique. C’est un outil parmi d’autres qui agit sur le niveau global de consommation. Mais en aucun cas sur la structure de la consommation. A cet égard, la taxe carbone aurait pu encourager à modifier cette structure en taxant les productions polluantes pour redistribuer son produit vers des productions moins polluantes. Mais c’était sans compter sur un pouvoir politique plus proche d’intérêts particuliers (notamment celui des classes les plus riches) que de l’intérieur supérieur de la collectivité.

5 commentaires:

StéphGreen a dit…

Félicitation pour ce premier article!

Pourquoi le RMA devrait être fixé au niveau Européen?

Cela a-t-il plus de sens qu'au niveau national?

Pako a dit…

Le développement depuis 50 ans du marché commun européen (qui permet l'échange de biens et services au sein de l'Union Européenne comme si ces transactions s'effectuaient à l'intérieur d'un seul et même État) doit nécessairement se faire en parallèle de l'instauration de règles économiques harmonieuses. Celles-ci s'établissent donc à tous les niveaux: en premier lieu au niveau des législations (pour qu'il soit tout simplement possible d'acheter et vendre en Europe), mais aussi au niveau de la politique fiscale: impôt sur les sociétés, sur la consommation (TVA), impôt sur le revenu...

Pour l'illustrer, on se rend compte qu'aujourd'hui, dans la plupart des pays européens, le taux maximal d'imposition varie entre 38 et 52% (http://fr.wikipedia.org/wiki/Fiscalité_en_Europe), qui témoignent de cette volonté de rapprocher ces fiscalités.

Or instaurer un revenu maximum admissible revient à appliquer un taux proche de 100% à partir d'une certaine tranche de revenu. Les Etats Unis, à l'initiative du Président Roosevelt l'ont expérimenté durant la période 1945-65 avec un taux moyen de 90% au delà de 25 000 $ de l'époque (http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2008/11/29/les-etats-unis-instaurent-un-revenu-maximum-pour-sortir-de-la-crise/).

Membre de l'Union Européenne, la France ne peut donc pas imposer seule le RMA, car ce déséquilibre de fiscalité entre États qui ont adopté des règles de fonctionnement communs inciterait les publics concernés à obtenir des revenus dans le reste de l'Union Européenne plutôt qu'en France.

J'ai trouvé un très bon site sur le sujet (http://www.salairemaximum.net/), qui répertorie toutes les contributions en la matière. Surtout, il montre à travers ses dizaines de sources, que la réflexion sur ce RMA est présente partout et est en train de devenir un débat d'actualité.

Pako a dit…

Et merci pour ton commentaire!

Unknown a dit…

Hey !

Félicitation pour l'article, je pense avoir tout compris, ce qui aurait été moins certain si j'avais lu l'article du Monde.

Si je peux me permettre une petite pensée, je trouve que l'idée est bien évidemment une bonne idée, mais comme toujours, ne penses-tu pas que comme la majorité des "très bonnes idées", celle-ci est utopique est pas réellement réalisable ?

Je veux dire, imaginons qu'un gouvernement, français ou européen mette une telle mesure en place (déjà, c'est violent comme mesure, faut un gouvernement avec une sacrée paire de c... pour prendre ce genre de mesure), tu ne crois pas que les strates supérieures (les 0.01%) à qui s'appliqueraient cette loi iraient très vite s'exiler je ne sais où, à Monaco, île de Man ou autre paradis fiscal ? Ou tout simplement dans un pays hors Europe ?

Et les gens qui pourraient voter cette loi, ne sont-ils pas justement ceux que la loi touchera le plus ?
Est-ce que les chefs d'entreprise par exemple, à qui s'appliquerait cette loi, ne seraient pas du coup motivés pour délocaliser complètement leur entreprise, et du coup faire pâtir économiquement le pays ?

Je n'y connais absolument rien en économie, ce ne sont que des idées farfelues que je lance... Mais t'en penses quoi toi ?

StéphGreen a dit…

En réponse à ton commentaire, nous avons écrit un nouvel article sur Comment instaurer un Revenu Maximum Admissible